Angle de vue européen : Sarah Coupechoux, Responsable Europe à la Fondation Abbé Pierre
Sarah Coupechoux, Responsable Europe pour la Fondation Abbé Pierre, interviewée par le CLER-Réseau pour la transition énergétique sur la prise en compte de la précarité énergétique à l’échelle européenne, fait part de ses points de vigilance sur l’avenir qui se dessine.
- Europe et normes de performance énergétique minimales
Sarah Coupechoux salue la proposition de la Commission européenne pour prendre en compte la nécessité de porter des obligations de rénovation énergétique dans le paquet énergie climat “Fit for 55”. La directive vise les bâtiments les plus énergivores pour enclencher une progression rapide – rénovation des logements classés F d’ici 2030 et E d’ici 2033.
En revanche, elle regrette que ces ambitions soient insuffisantes pour améliorer significativement la qualité des bâtiments. Certains pays portent des obligations plus exigeantes, mais Sarah Coupechoux concède à la Commission européenne la difficulté à tenir compte de la diversité des parcs dans tous les pays de l’Union européenne. Il y a nécessité d’uniformiser les diagnostics de performance énergétique au niveau européen. Mais la question reste de savoir où placer le curseur pour définir les classes communes qui auront un impact direct sur les obligations de rénovation afin de veiller à ne pas faire des compromis à la baisse. Notamment pour limiter la réalisation de simples gestes qui permettraient de passer à la classe supérieure sans pour autant avoir réalisé un réel effort de rénovation énergétique.
- Europe et évolutions du décret décence en matière de performance énergétique minimale en France
Sarah Coupechoux rappelle qu’il n’y a aujourd’hui aucune norme homogénéisée au niveau européen. La question de la précarité énergétique qui entre dans le champ de l’énergie, compétence de l’Union européenne, est une porte d’entrée pour fixer des normes minimales sur l’habitat au niveau européen et lutter contre l’habitat indigne. La Fondation Abbé Pierre souhaite s’en saisir pour avancer sur cette question au niveau européen.
- Introduction d’un nouveau marché carbone ETS2 sur le chauffage et le transport : impacts sur les ménages européens
Les ressources de ce nouveau marché carbone doivent venir alimenter un fonds social pour le climat mais aussi rembourser la dette liée à la crise COVID-19.
Sarah Coupechoux alerte sur le risque social. Le prix du marché carbone va, à un moment donné, être répercuté sur les ménages européens et donc provoquer une hausse du prix des factures pour les ménages. Ce constat inquiète la Fondation Abbé Pierre car le contexte est aujourd’hui extrêmement tendu : hausse des prix des logements, augmentation des dépenses des ménages, flambée des prix de l’énergie.
Pour Sarah Coupechoux, l’Union européenne doit prendre en compte les ménages les plus vulnérables pour ne pas leur faire subir la législation nécessaire pour le climat. Elle pointe deux risques majeurs. D’une part, avec le marché carbone sur le chauffage, l’apparition d’un phénomène de paupérisation d’une partie de la population européenne, notamment dans les pays où les revenus sont les plus bas. Et, d’autre part, une hausse des prix de l’énergie imposée à une part très importante de locataires qui n’ont aucun pouvoir en matière de rénovation énergétique.
- Un fonds social européen pour le climat
Le fonds social pour le climat est le pendant du marché carbone ETS2. Il est destiné à compenser la hausse des prix de l’énergie liée à la création du marché carbone par des aides et financer la rénovation énergétique.
Sarah Coupechoux reste dubitative quant aux modalités de fonctionnement de ce fonds. Elle précise qu’aujourd’hui il n’y a pas de visibilité sur l’efficacité du marché carbone comme levier d’incitation vers la rénovation énergétique et donc la diminution des émissions de carbone. Le fonds est en outre mal calibré car les 144 milliards estimés ne pourront pas couvrir les besoins. Par ailleurs, le marché du carbone sera forcément volatile -les prix de l’énergie étant imprévisibles- ce qui créera une grande instabilité pour les ménages.
- 55 millions d’européens en situation de précarité énergétique : comment y remédier et mieux protéger les locataires ?
Pour Sarah Coupechoux, la rénovation globale et performante est essentielle pour lutter contre la précarité énergétique. Il y a trois piliers pour faire avancer la rénovation de façon efficace et atteindre les objectifs : l’obligation de rénover, l’incitation fiscale (aides, subventions) et l’accompagnement.
Il apparait indispensable de donner les moyens pour former les acteurs de la rénovation en local, pour être au plus près des ménages, réaliser des diagnostics corrects et assurer, de manière efficace et compétente, un accompagnement aux travaux.
Pour protéger les locataires en situation de précarité énergétique, la question de la sanction et du contrôle auprès des propriétaires bailleurs est cruciale et la protection du marché locatif privé de l’augmentation des prix déraisonnables des loyers pour répercuter les frais liés à la rénovation se révèle essentielle.
- Présidence française du Conseil de l’Union européenne et lutte contre la précarité énergétique en Europe
Dans le paquet énergie climat, toutes les législations dépendent les unes des autres rappelle Sarah Coupechoux. Elle indique que l’enjeu est donc de peser sur les gouvernements pour éviter les compromis à la baisse et alerter sur l’impact que les mesures pourraient avoir sur les ménages vulnérables.
La Présidence française de l’Union européenne a un rôle majeur à jouer. La lutte contre la précarité énergétique fait partie de ses sujets prioritaires pour faire avancer les négociations autour du paquet énergie climat. Cette question du marché carbone ETS2 est centrale. Sarah Coupechoux rappelle que la France s’est fixée comme objectif de trouver des compromis d’ici le mois de juin et espère que le gouvernement se montrera particulièrement attentif aux enjeux sociaux.
Consulter l’interview complète de Sarah Coupechoux, Responsable Europe à la Fondation Abbé Pierre.
- Pour aller plus loin
Découvrir l’article Se chauffer ou manger : comment sortir du dilemme de la précarité énergétique dans l’UE ? Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) et FSE+ apportent des aides complémentaires aux aides nationales pour les personnes les plus touchées par la précarité énergétique.