Portrait de membre : Franck Billeau, directeur de Réseau Éco Habitat

Publié le 31 mars 2020


Réseau Éco Habitat agit pour l’amélioration thermique de l’habitat, en accompagnant les familles dans toutes les étapes de leur projet de travaux : diagnostic, identification de solutions, recherche de financements, coordination des intervenants…

Quel est votre parcours et qu’est-ce qui vous a conduit à intervenir sur la précarité énergétique ?

J’ai un BTS en électrotechnique, mais je n’ai jamais travaillé dans le bâtiment puisque je suis devenu assez rapidement objecteur de conscience au sein de la jeunesse ouvrière chrétienne, donc plutôt engagé sur des questions d’animation et de jeunesse en milieu populaire.

Puis je suis entré au Secours Catholique, et j’y suis resté 15 ans. A 40 ans, en 2013, j’ai eu envie de faire autre chose, de quitter le secteur caritatif (pas forcément associatif), et d’entreprendre.

En parallèle, avec mon épouse, nous avions envie de faire construire une maison dite écologique. Suite à une rencontre décisive avec un architecte spécialisé dans la construction écologique et l’ossature bois, j’ai découvert et je me suis passionné pour la construction en éco-matériaux, la question technique et le fait qu’on puisse construire une maison à très faibles charges de fonctionnement et d’énergie.

En 2014 j’ai pris des contacts et j’ai rencontré un fournisseur de matériaux biosourcés. Alors que je postulais à une offre d’emploi chez lui, il m’a déconseillé de le faire en m’expliquant que ma plus-value n’était peut-être pas de travailler chez lui, justement, mais plutôt de travailler à élaborer un marché local des matériaux biosourcés, et par ailleurs de mettre à profit mon expérience passée au Secours Catholique.

J’en suis arrivé à la conclusion qu’il était tout à fait possible de proposer des matériaux biosourcés, pas forcément aux gens qui ont de l’argent, mais tout autant à des ménages aux ressources très modestes.

C’était un peu utopiste comme approche, car développer un marché de matériaux en théorie plus chers pour des gens qui n’ont pas d’argent est plutôt contre-intuitif ! Mais d’un autre côté, il y a, hélas, beaucoup de situations de pauvreté, et cela pouvait donc constituer un marché complémentaire pour les entreprises du bâtiment (dont un certain nombre en 2014 mettait la clé sous la porte), puisqu’il y avait des aides financières pour ces gens aux ressources modestes qui rénovaient leur logement.

Bref, je me suis dit que tout existait, y compris des réseaux de bénévoles au contact de ces publics pauvres.À ces bénévoles, on pouvait suggérer, plutôt que de donner 300 euros pour payer les factures, de permettre aux familles rencontrées d’accéder aux dispositifs de droit commun tout en leur mettant à disposition le meilleur : installer chez eux des matériaux biosourcés.

Cette utopie a été le début de l’histoire du réseau éco-habitat (REH) : chercher à apporter des réponses efficaces et saines pour des gens qui n’ont pas de moyens.

Au démarrage, je me voyais bien sur un chariot élévateur, et d’ailleurs j’ai cherché des locaux pour faire du stockage de matériaux. L’idée c’était de faire venir les artisans dans notre entrepôt en leur disant : « on vous apporte des clients, en contrepartie de quoi vous installez chez eux nos matériaux ». Mais ça ne s’est pas du tout passé comme ça.

D’abord, si ça paraissait simple sur le papier de dire aux ménages pauvres de déposer un dossier pour obtenir une aide financière et réaliser des travaux dans un délai raisonnable, on s’est vite aperçu que c’était en fait très compliqué.

J’ai aussi découvert cette réalité : les collectivités locales se méfient beaucoup des bénéficiaires des aides, qui peuvent quelquefois être considérés comme de potentiels profiteurs du système (même si je caricature un peu). Chacun des financeurs prend beaucoup de précautions et attend que d’autres apportent des preuves de confiance.

Quand on a commencé à démarcher des artisans en leur disant qu’on avait un client chez qui on aimerait bien qu’ils installent des matériaux biosourcés, ils commençaient à pâlir. Puis, quand on leur annonçait que ce client n’obtiendrait peut-être pas ses financements tout de suite, qu’on ne savait pas bien quand les travaux allaient pouvoir démarrer, qu’ils allaient devoir attendre pour être payé, et qu’en plus ils allaient peut-être devoir faire quatre ou cinq devis intermédiaires pour adapter le bouquet de travaux aux financements qu’on allait être en capacité d’aller chercher, et bien là on a commencé à déchanter. Sur une équation a priori simple où tout existe pour que ça fonctionne, il y avait une complexité extrême et des langages, des peurs, des défiances les uns vis-à-vis des autres qui bloquaient à peu près tout. L’enjeu, c’était donc de créer du lien entre les parties prenantes (les collectivités et institutions, les bénévoles, les entreprises du bâtiment et les ménages) pour restaurer la confiance.

En quoi consiste votre mission, et de quoi avez-vous eu besoin pour la mener à bien ?

Notre métier à REH est de réussir à accompagner les familles en même temps sur deux champs profondément complémentaires : d’une part, l’accompagnement social et financier (préconisation de travaux en fonction de la situation sociale et financière des personnes) ; et d’autre part, l’accompagnement technique (diagnostic, prescription et suivi des travaux, avec des matériaux biosourcés et un gain de performance énergétique qui doit être au minimum de 40%). Notre fonctionnement est entièrement fondé sur une logique associative et coopérative pour créer des ponts et des liens d’entraide entre les différentes parties prenantes, indispensables pour mener à bien un projet de rénovation dans le logement de propriétaires occupants aux ressources très modestes. 

Notre mission ne consiste pas à faire rentrer des gens dans les cases des dispositifs, mais à prendre en compte la situation globale d’une famille en difficulté dans plusieurs aspects de sa vie quotidienne pour lui apporter une solution centrée sur l’habitat. On travaille donc évidemment les questions de thermique du bâtiment, mais aussi celles de santé, d’adaptation, d’accès au droit, de lutte contre l’isolement, etc., pour restaurer la dignité des personnes.

La première chose dont on a eu besoin, c’est d’inventer un vocable et une méthode pour partager nos convictions auprès des divers acteurs impliqués :

  • Embarquer les bénévoles qui nous prenaient pour des fous quand on leur disait qu’on allait faire 20 000€ de travaux (et d’ailleurs aujourd’hui plutôt 35 000€ en moyenne) chez des personnes qui n’avaient pas un sou,
  • Expliquer aux entreprises du bâtiment que les ménages pauvres pouvaient être solvables grâce aux subventions qu’on allait solliciter et obtenir,
  • Convaincre les collectivités qui nous disaient qu’elles avaient déjà organisé les choses avec des opérateurs, des appels d’offre et des opérations programmées,
  • Tranquilliser aussi notre banquier, qui avait du mal à comprendre (comme nous d’ailleurs, au démarrage) qui était le client dans notre histoire…

De fait, on ne fait rien d’autre qu’assembler les pièces d’un puzzle, pour pouvoir accompagner les familles dans toutes les étapes de leur projet d’amélioration de leur habitat. C’est d’ailleurs cette image que j’ai beaucoup utilisé au démarrage, quand on me disait « voilà encore un nouveau truc » je répondais « non, rien de nouveau, on ne fait que mobiliser les acteurs et les relier les uns aux autres pour apporter la bonne réponse aux personnes qui ont, justement, besoin des uns et des autres ».

Comment les choses ont-elles décollé ?

Au départ j’étais tout seul comme salarié, mais avec un Conseil d’administration constitué de personnes aux compétences très variées qui devaient m’accompagner dans l’entreprenariat autour des matériaux biosourcés. La somme de ces compétences et personnalités permettait de construire un discours pertinent, avec un vocable adapté à chaque interlocuteur.

L’ADEME et la Région nous ont soutenus dès le départ au niveau régional.

Au bout de 6 mois, ma collègue Marie-Claire Corniquet est arrivée dans l’équipe. On a répondu à des appels à projets dont on a été lauréats : celui d’Ashoka avec la Fondation Schneider Electric, puis « La France s’engage ». Cela nous a un peu ouvert les portes de l’Anah et apporté un peu de reconnaissance, d’écoute, une attention particulière.

C’est assez paradoxal parce qu’on était, et on reste, extrêmement petits en termes de chantiers, mais en même temps on est aujourd’hui entourés et portés par des gens très importants, et grands. On a eu la confiance d’acteurs nationaux assez rapidement après le démarrage de notre projet (d’ailleurs presque plus au niveau national que local) : le Secours Catholique national, la Fondation Abbé Pierre, des entreprises comme Schneider Electric ou Leroy Merlin, AG2R La Mondiale. Cela nous a vraiment portés, et me fait penser que notre discours est vrai : il y a de l’empathie pour les histoires qu’on met en avant, et ces personnes-là ont aussi envie qu’on réussisse, sans forcément avoir de grandes attentes en termes quantitatifs. On nous a rapidement reconnu un côté assez malin de savoir adapter notre discours en fonction de notre interlocuteur.

On a eu dès le départ l’intuition qu’il fallait démarrer sur un territoire assez vaste pour ne pas être taxés de particularité locale ou départementale, et qu’il nous fallait des territoires d’intervention différents. Donc on est partis tout de suite à l’échelle régionale, la Picardie, en ciblant des propriétaires occupants car c’était là que les dispositifs financiers existaient, que ce serait plus facile pour engager les travaux de rénovation énergétique de leur logement et qu’on était, au démarrage, sur une logique de marché pour les éco-matériaux. Les premières situations étaient plutôt en milieu rural, et cela s’est confirmé par la suite, sans que ce soit une volonté spécifique. Simplement, les bénévoles du Secours Catholique allaient plus souvent au domicile des gens en milieu rural qu’en zone urbaine.

Quelle est la clé du succès de votre action ?

Entre chaque bénévole du Secours Catholique et les familles, il y a une histoire affective qui se crée. Notre action s’appuie en premier lieu sur cette relation.

L’accompagnement va beaucoup plus loin que le logement. L’expression « tiers de confiance » n’est pas venue dès le début, mais cette relation de confiance est vraiment au cœur de l’action. On est partis de l’infiniment petit en montrant la puissance de l’engagement très local, quelque chose de l’ordre du mouvement des colibris : si chaque équipe locale du Secours Catholique accompagne une famille, ce qui reste un objectif très modeste, si chacun apporte sa pierre, alors au final cela peut représenter 4 500 chantiers.

Une des clés du succès, c’est cet enthousiasme. Le fait de ne pas se morfondre, de mettre de l’espoir, de la confiance, du rêve dans la démarche malgré les difficultés très fortes des familles qu’on rencontre. On a parfois été taxés de personnes un peu naïves, mais ceux qui se disaient « pourquoi pas ? » venaient avec cet enthousiasme. Cet ingrédient est indispensable. D’autant qu’on n’a pas envie de décevoir les familles.

Dès le début, on a commencé à raconter les histoires des personnes qui avaient été repérées par des bénévoles, et de leurs conditions de logement : je me souviens de Lucienne, de Ginette, de Maria, etc.

Le fait d’avoir toujours parlé du réel, des gens et de leurs situations concrètes, avec des noms, des visages, des photos, des montants de travaux, a été une bonne approche. Pour les bénévoles, c’était très concret, donc abordable, et pour les collectivités locales ou les entreprises ça n’était pas attaquable : ces personnes existent et leurs difficultés sont réelles, elles n’inventent rien, n’essayent pas de profiter du système.

Il y a quelque chose de très simple et pragmatique dans notre approche, et finalement il n’y a rien d’innovant, si ce n’est une certaine recherche de la simplicité et du bon sens. Le côté culotté de l’affaire a été de croire qu’on pouvait faire cohabiter des structures et des gens qui ne vivent pas du tout dans les mêmes paradigmes : l’administration, les entreprises du bâtiment, les associations militantes, en leur expliquant que chacun peut avoir un intérêt, voire du plaisir, à voir les situations qu’on leur présente s’améliorer. Pour l’administration, c’est la satisfaction de voir que son argent est bien investi et bien utilisé ; pour l’entreprise, de voir des gens heureux à l’issue de leur intervention sur un chantier. On peut travailler en se faisant plaisir.

Quelles sont les compétences nécessaires pour mener à bien votre mission, votre projet ?

Ce qu’on me reconnaît comme compétence au départ, c’est d’avoir un langage assez diplomate et de savoir m’adapter à mon interlocuteur. Savoir coordonner, aussi, donner aux uns et aux autres l’envie de faire.

En dehors de ça, je me définis comme quelqu’un qui n’est pas un spécialiste mais qui aime repérer et mobiliser chez les uns et les autres des morceaux de compétences pour construire une solution globale.

Au fur et à mesure que l’équipe s’est étoffée, on a beaucoup regardé la question des valeurs : elles devaient être centrées sur l’attention et le respect des personnes, et pas seulement sur une réponse technique. Je parle du respect des destinataires finaux de notre action, mais aussi des différents intervenants, à chaque étape du parcours (les fonctionnaires de l’Anah, les artisans, etc.), quel que soit l’écosystème dans lequel ils évoluent.

Avoir le souci de proposer le meilleur à ceux qui en ont le plus besoin aussi, mettre l’accent sur la qualité et faire chez les gens comme si c’était pour un membre de notre famille : niveau d’exigence et de performance des travaux, qualité des matériaux.

On a surtout embauché des gens avec qui on avait très envie de travailler, on a été les chercher. L’équipe de Réseau Eco-Habitat (REH), c’est une histoire de rencontres avec des gens qui partagent les mêmes valeurs humaines et environnementales.

Une autre qualité, plus qu’une compétence, qui est fondamentale pour travailler avec nous, c’est encore cette capacité à y croire, à s’engager dans l’enthousiasme.

Aujourd’hui on est 5 (4,8 ETP), et on aura 3 ou 4 embauches en 2020. On va monter une antenne dans le Nord-Pas de Calais. On va surtout lancer un programme d’essaimage pour accompagner le déploiement de porteurs de projets dans plusieurs régions de France, qui voudraient emprunter la méthode REH : c’est-à-dire un réseau tripartite entre bénévoles, entreprises, collectivités. AG2R nous accompagne au niveau national et régional.

Qui sont vos partenaires ?

Il y a plusieurs catégories de partenaires :

  • ceux qui financent les chantiers, évidemment. Par exemple les collectivités qui portent des OPAH, ou des fondations type Secours Catholique, Fondation Abbé Pierre ou de nouveaux acteurs comme Bouée d’Espoir ;
  • ceux qui gravitent autour de REH et qui soutiennent plutôt le modèle opérationnel en termes de positionnement, d’essaimage, et qui financent le fonctionnement de l’association ou le changement d’échelle. Par exemple Schneider Electric, Leroy Merlin, AG2R LA MONDIALE, Rexel, Malakoff Médéric, Pro BTP, etc ;
  • les partenaires centrés sur les travaux, les opérations : les artisans locaux notamment ;
  • les « tiers de confiance », partenariats associatifs très opérationnels dans l’accompagnement et les financements, qui se réduisent au Secours Catholique et à la Fondation Abbé Pierre ;
  • des partenaires importants pour comprendre les enjeux, faire évoluer les pratiques, chercher des solutions aux questions qu’on se pose (le financement du reste-à-charge notamment) : le réseau RAPPEL, l’association Julienne Javel, la FAPIL, le CLER, des sociologues tels que Gaëtan Brisepierre. Il y a quelque chose dans ce qu’on porte qui est de l’ordre de l’intérêt général, et qu’on ne peut pas porter seuls. Les histoires qu’on crée et les solutions qu’on porte localement doivent pouvoir venir alimenter une réflexion nationale. Je pense que c’est un devoir que l’on a.

Quels sont les impacts de votre intervention, à votre avis ?

Je dis souvent qu’un ménage sur deux qui est en âge d’avoir une activité professionnelle et accompagné par REH retrouve du travail à l’issue des travaux. Je n’ai pas vérifié ce chiffre récemment, mais je sais qu’il est sans doute à peu près vrai.

Sans savoir exactement comment le mesurer, je sens par ailleurs qu’on recrée de la confiance entre les entreprises et les dispositifs publics, entre les différents acteurs.

Une anecdote. J’avais pressenti, après avoir démarré l’accompagnement de personnes qui avaient des affiches d’opinion extrême chez eux, que ces gens ne remettraient pas forcément ces affiches à l’issue des travaux. C’est en effet ce qui s’est passé : quelque chose sur leur relation avec la puissance publique a bougé, il y a un peu plus de confiance maintenant. Il y a beaucoup d’éléments de ce type à mettre en avant.

Quelles sont les perspectives, aujourd’hui ?

Jusqu’ici on n’avait pas de modèle économique, donc il nous a fallu se poser la question : Qui est notre client ? Qui a le plus intérêt à ce que les pauvres soient moins pauvres ? La réponse, c’est la puissance publique : l’Anah et les collectivités territoriales. C’est à eux de financer nos coûts de fonctionnement et de salariés.

Pendant 4 ans on a dû s’accrocher à notre bonne idée, se dire qu’on allait finir par réussir, et dépendre d’appels à projets et de financeurs privés.

Nos efforts ont fini par payer puisque nous avons récemment signé un contrat à impact social (CIS) avec le Secours Catholique et l’Anah. Le principe général du CIS est le suivant : un investisseur privé (en général une banque, mais ici le Secours Catholique) finance un projet social, porté par une structure de l’économie sociale et solidaire, et en assume le risque financier, évitant ainsi la mobilisation de fonds publics. A l’issue du projet, un dispositif d’évaluation indépendant doit permettre d’établir de façon objective et opposable l’atteinte des objectifs du programme et engage, selon la réussite du projet et l’impact social constaté, le remboursement, avec intérêts, de l’investissement par la puissance publique. En cas de non atteinte des objectifs fixés à l’élaboration du contrat à impact social, l’investisseur n’obtient pas de remboursement de la part de l’autorité publique. Dans notre cas, les objectifs sont en lien avec le type de public, le type de travaux, la capacité à essaimer sur les deux autres départements du Nord et du Pas de Calais. C’est le cabinet Deloitte qui est en charge de l’évaluation de l’atteinte des objectifs, selon une série d’indicateurs quantitatifs (qui seront les indicateurs de résultats « liés directement au financement » ( ?) , car plus objectivables, et qualitatifs (tels que le gain de confort, de vie sociale, le retour à l’emploi ou vers une formation qualifiante, etc.). Nous nous engageons en effet à poursuivre l’accompagnement des familles pendant 18 mois après la fin de la réalisation des travaux, et aurons donc beaucoup de matière disponible pour qui voudra s’en saisir (pourquoi pas l’ONPE [1] ?) et analyser les impacts de la sortie de la précarité énergétique sur un temps plus long. En revanche, nous ne réaliserons pas nous-même ce type d’étude d’impact faute de disposer des ressources humaines et méthodologiques nécessaire pour réaliser ce genre de travail.

Le CIS que nous avons signé, c’est 200 chantiers à réaliser sur 5 ans (2019-2023), avec des matériaux biosourcés et un gain de performance énergétique qui doit être au minimum de 40%.Cela implique de multiplier par 4 le nombre de chantiers de rénovation engagés par rapport au rythme actuel. Le coût de l’accompagnement social et technique de REH est forfaitisé. Un des objectifs du CIS est aussi de démontrer que le coût de notre accompagnement est compressible en fonction du volume de situations accompagnées. Si on réduit les délais, il est évident que le coût sera moindre.

Si ce CIS est un succès, cela signifiera très concrètement que l’Anah reconnaît la spécificité de notre public (un tiers en-dessous des plafonds de ressources des « très modestes » de l’Anah, soit le seuil PLAI [2]), l’apport de notre modèle à ce public, le rôle de « tiers de confiance » que le bénévole peut apporter. Cela signifiera aussi que l’Anah accepte l’idée qu’on puisse prescrire aux familles à la fois des travaux et des entreprises – contrairement à un opérateur classique. Dans ce cas, l’Anah remboursera REH sur la base du forfait défini pour chaque accompagnement et REH remboursera le Secours catholique.

Par ailleurs, si la réponse au besoin exprimé est efficace, alors l’Anah ouvrira ce qu’elle a mis en place avec REH à d’autres. Nous avons donc aussi un rôle de « démonstrateur ».

La question du reste à charge pour les travaux des ménages est prégnante, et c’est pourquoi nous allons mettre en place une caisse d’avance qui sera financée à part, hors CIS, par des acteurs privés (Schneider Electric, Phitrust, Lita, etc.). Cette caisse d’avance nous permettra de payer en direct les entreprises. Nous pourrons donc, avec l’accord des propriétaires, choisir le bouquet de travaux et les entreprises qui interviendront chez elles.

Quels sont les manques, les difficultés, les besoins que vous identifiez au niveau local pour optimiser votre action ?

On voit bien le potentiel de notre action : le Secours Catholique rencontre chaque année 100 000 ménages propriétaires occupants. Une infime partie pourra réaliser des travaux avant la fin de l’année. On est passé de 13 chantiers réalisés en 2018 à 23 chantiers en 2019. On peut se dire qu’on a pratiquement doublé le nombre de ménages accompagnés, mais la réalité c’est que ce chiffre est ridicule si on le compare au nombre de situations de pauvreté rencontrées ne serait-ce que par le Secours Catholique. On pourrait se dire qu’on va sensibiliser des bénévoles des Restos du cœur, du Secours Populaire, d’ATD Quart Monde, etc. Le potentiel est énorme mais la frustration aussi, car dans les faits tout est terriblement long, tout prend un temps fou.

Dès le départ j’ai eu l’intuition qu’il ne fallait pas qu’il se passe plus de 9 mois entre le repérage d’une famille et le début de la réalisation des travaux. Au-delà, on perd les ménages, mais on perd aussi les bénévoles et les entreprises. Aujourd’hui on en est encore à 18 ou 24 mois, c’est beaucoup trop long !

Et au niveau national, pour lutter plus efficacement contre la PE, que souhaitez-vous faire remonter ?

Tout existe, toutes les solutions sont là pour éradiquer les 7 millions de passoires énergétiques. Mais trop de dispositifs et de personnes fonctionnent en silo, chacun est spécialisé dans sa réponse et il y a peu de transversalité entre les acteurs.

On n’a pas suffisamment compris que dans les faits, la précarité énergétique est un sujet à la fois social et technique. Les intervenants et les dispositifs sont rarement dans ces deux approches en même temps. Or il me semble que c’est là un enjeu majeur.

Aujourd’hui les réponses proposées massivement ne sont pas globales, les rénovations ne sont pas globales, donc pas suffisamment efficaces. De l’argent il y en a, mais il est très saupoudré et finalement on gaspille l’argent public. Ma conviction c’est que si on apporte une solution d’envergure aux plus pauvres des plus pauvres, on aura forcément un retentissement pour les catégories sociales juste au-dessus. La tendance aujourd’hui est inverse : on a plutôt tendance à dire qu’il faut saupoudrer, faire un peu, un peu partout, et que c’est efficace. Je ne le crois pas, car saupoudrer ne conduit qu’à des résultats très partiels qui décrédibilisent l’action publique et le portage politique qu’il pourrait y avoir sur le sujet. Il y a une déperdition d’énergie et de confiance folle.

On n’a pas besoin d’offres à 1€, mais de financement à 90% sur des programmes de travaux très ambitieux, avec un vrai accompagnement social et technique des personnes, de bout en bout. Il nous faudrait idéalement un complément de financement mobilisable sur les travaux, activable par des accompagnateurs locaux sur la base d’un contrat de confiance entre la puissance locale et ces opérateurs d’accompagnement (des acteurs associatifs garants de l’intérêt général), et qui pourrait être alimenté par une nouvelle catégorie de CEE (certificats d’économie d’énergie) dédié aux ménages extrêmement modestes. Cela pourrait rééquilibrer des situations où il y a des inégalités hallucinantes de financements disponibles en fonction du territoire, de la caisse de retraite, etc…

Par ailleurs, l’accompagnement doit aller jusqu’au bout, et ne pas se limiter au conseil. On confond aujourd’hui beaucoup conseil et accompagnement. Accompagner c’est être aux côtés de la personne, jusqu’au bout. La confiance, étymologiquement, c’est avoir la foi ensemble.

Comment vous imaginez-vous dans 10 ans ?

Je me pose souvent cette question et je vois plusieurs options.

REH pourrait devenir une sorte d’organisation parapublique qui ferait de la formation ou de la sensibilisation d’acteurs très divers, publics ou privés, professionnels ou bénévoles, pour créer des coalitions locales et créer de la confiance entre les acteurs. 

On pourrait aussi rester un opérateur de terrain centré sur les ménages hors radars, non visibles, qui s’imaginent que réaliser des travaux chez eux n’est pas possible.

On pourrait, enfin, se spécialiser sur la transmission d’éléments de méthode. On est déjà en réflexion avec le Secours Catholique en PACA, en Bourgogne, dans le Maine-et-Loire, autour des manières de travailler localement avec d’autres partenaires et comment organiser des coalitions d’acteurs pour apporter des solutions à nos publics.

Nos histoires sont des histoires de solidarité, de vivre-ensemble. L’exact contraire du chacun pour soi. Si on aide les gens, et notamment les bénévoles, à regarder les choses de manière très positive, alors cet enthousiasme devient contagieux.

C’est ma bonne recette à partager !

Interview réalisée le 16/12/2019 pour le RAPPEL.


[1] Observatoire National de la Précarité Energétique

[2] Prêt Locatif Aidé d’Intégration : catégorie de logements sociaux réservés aux personnes en situation de grande précarité.

Portrait de membre :
Franck Billeau, Directeur de Réseau Éco habitat

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