Dans une décision inédite rendue jeudi 19 novembre, le Conseil d’Etat donne trois mois au gouvernement pour « justifier que la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée ». La France s’est engagée à diminuer ses émissions de 40 % par rapport aux niveaux de 1990 et à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.
Rappel de l’affaire…
En janvier 2019, la ville de Grande-Synthe, dans le Nord (et son ancien maire, désormais député européen Europe Ecologie-Les Verts, Damien Carême), avait saisi le Conseil d’État d’un recours visant « l’inaction climatique » de la France. Ce dernier faisait suite au refus du gouvernement de répondre à la demande des requérants de prendre des mesures supplémentaires pour respecter les objectifs de l’accord de Paris, dont on célébrera le cinquième anniversaire le 12 décembre. Quatre ONG, initiatrices de l’Affaire du siècle, se sont jointes à l’affaire ainsi que les villes de Paris et de Grenoble.
Elles accusaient l’État de ne pas prévoir, dans ses deux outils de pilotage de la politique énergétique que sont la « Stratégie nationale bas-carbone » (SNBC) et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), les actions nécessaires pour être en conformité avec les objectifs que la France s’est engagée à atteindre d’ici 2030 en matière de lutte contre le changement climatique. Ces objectifs sont présentés dans la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) et dans l’Accord de Paris. La LTECV a en effet fixé l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France de 40 % entre 1990 et 2030, et de les diviser par 4 en 2050 par rapport à 1990. Elle prévoyait également une baisse de 15 % de la précarité énergétique d’ici 2020 (article 3).
Il convient de noter qu’en France, les lois de programmation sont considérée comme du « droit mou », c’est-à-dire un droit de l’ordre de l’affichage, de l’effet d’annonce politique, éventuellement de l’incitation – mais pas forcément très contraignant dans l’action.
Le 15 février 2019, l’État a rejeté l’accusation d’ « inaction climatique » via une note gouvernementale de dix pages explicitant l’action de l’État en faveur du climat. L’État arguait également qu’il ne serait possible qu’en 2030 de voir si les objectifs étaient atteints ou non.
Une décision « historique » du Conseil d’État
Le 9 novembre dernier, le rapporteur public nommé par le Conseil d’État pour cette requête, Stéphane Hoynck, n’a pas suivi les arguments du gouvernement : « Il ne faut pas attendre qu’une obligation de résultat soit reconnue dans ses carences, il faut faire en sorte de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour agir« , a-t-il ainsi déclaré. Il a ainsi demandé au Conseil d’État d’évaluer dès à présent les mesures prises par la France pour atteindre ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030
Le 19 novembre 2020, le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative, a suivi les recommandations de son rapporteur et pris une décision que les ONG environnementales qualifient d’historique. Le Conseil d’État a relevé que « si la France s’est engagée à réduire ses émissions de 40 % d’ici à 2030, elle a, au cours des dernières années, régulièrement dépassé les plafonds d’émissions qu’elle s’était fixés ». En d’autres termes, les juges ont reconnu l’inaction climatique de l’État. Ils ont donc demandé au gouvernement de justifier, dans un délai de trois mois, « que son refus de prendre des mesures complémentaires est compatible avec le respect de la trajectoire de réduction choisie pour atteindre les objectifs fixés pour 2030 ».
Ce que les ONG qualifient d’historique, c’est que le Conseil d’État, par sa décision, considère que les objectifs fixés par les lois de programmation doivent être effectivement réalisés et sont donc contraignants. Il montre aussi que compte-tenu de l’urgence climatique, que c’est dès maintenant que les objectifs de 2030, 2050, et au-delà, se construisent – pas dans 10 ans.
A l’issue de l’instruction supplémentaire de trois mois, le Conseil d’État demandera au gouvernement de se justifier à la barre sur l’efficacité de ses politiques publiques. Si la haute juridiction administrative n’est pas satisfaite des réponses, « le Conseil d’État pourra alors faire droit à la requête de la commune et annuler le refus de prendre des mesures supplémentaires permettant de respecter la trajectoire prévue pour atteindre l’objectif de – 40 % à horizon 2030 », a-t-il précisé.
« Si à la suite de l’évaluation, le Conseil d’État estime que les actions sont insuffisantes, il pourra enjoindre l’État à agir, a expliqué Greenpeace dans un communiqué. Cela peut se traduire notamment par de nouvelles réglementations, des mesures incitatives ou des mesures contraignantes. »
Que cela peut-il changer pour la lutte contre la précarité énergétique ?
Les principaux objectifs fixés en matière de lutte contre la précarité énergétique sont inscrits dans cette même loi de programmation TECV de 2015, et notamment :
- Article 3 : La France se fixe comme objectif de rénover énergétiquement 500 000 logements par an à compter de 2017, dont au moins la moitié est occupée par des ménages aux revenus modestes, visant ainsi une baisse de 15 % de la précarité énergétique d’ici 2020.
- Article 5 : Avant 2025, tous les bâtiments privés résidentiels dont la consommation en énergie primaire est supérieure à 330 kWh ep/m2.an doivent avoir fait l’objet d’une rénovation énergétique.
Si le contenu de cette loi, et notamment ses articles 3 et 5, deviennent contraignants en droit et en action avec une obligation de résultat, la France est déjà très en retard sur ses objectifs de réduction de la précarité énergétique et de rénovation des logements. C’est écrit noir sur blanc dans la PPE : « En 2023, le taux de précarité énergétique sera équivalent dans le scénario suivi par la PPE (11,7 %) à celui d’un scénario sans PPE. La dynamique donnée par la PPE aura un impact de réduction de la précarité à plus long terme. En 2025, l’indicateur est dégradé en absolu par rapport à 2023 (11,8%) et en relatif par rapport à une situation où il n’y aurait pas de PPE (11,5%). Les effets positifs de la transition se font sentir après pour les précaires : 11,4% en 2020 et 11,2% en 2030, comme pour un scénario tendanciel. A plus long terme les effets de la PPE sur la précarité sont meilleurs qu’une situation de statu quo.«
De quoi être attentif à la suite de l’Affaire, qui laisse espérer des moyens sensiblement plus conséquents et des outils plus efficaces pour s’atteler sérieusement à la réduction massive et pérenne de la précarité énergétique en France.
Lire la décision du Conseil d’État