Une inquiétude grandissante qui oblige les gouvernements à agir
Les prix du gaz ont enregistré une hausse de 8,7% en septembre en France. Ceux de l’électricité ne cessent d’augmenter aussi, plus de 50% ces dix dernières années. Et la tendance est la même partout en Europe. Concernant le gaz, les facteurs expliquant la hausse des prix sont multiples : il y a le fort rebond de l’économie mondiale et l’importante demande asiatique en gaz naturel liquéfié (GNL). Mais aussi, en Europe, des stocks bas et une incapacité de la Norvège et de la Russie d’augmenter leurs livraisons, explique la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Résultat : les cours s’envolent , alors même que se profile la saison hivernale.
Cette flambée des cours du gaz engendre une hausse « disproportionnée » des prix de l’électricité en Europe. Alors qu’elles ne fournissent qu’un cinquième de l’électricité européenne, les centrales au gaz sont devenues des unités de fixation du prix. En cause notamment : la demande d’électricité plus élevée du fait de la reprise économique, la baisse de la production des renouvelables, et un prix du carbone dans l’UE qui favorise le passage du charbon au gaz. Or le prix du gaz naturel a bondi de plus de 170 % en Europe depuis janvier, entraînant une forte hausse des coûts de l’électricité, qui dépassent 70 €/MWh en Allemagne ou en France. La note du think tank Bruegel publié le 13 septembre plaide pour une mise en œuvre rapide du paquet climat, et propose de reverser une partie des recettes du marché du carbone et de la TVA sur l’énergie sous forme de montants forfaitaires par habitant.
Cette explosion des prix de l’énergie est mondiale. Aux Etats-Unis, les prix du gaz ont doublé depuis le début de l’année. L’Asie et l’Amérique latine sont aussi concernées. En Europe, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie, dépendant du gaz pour la production d’électricité, sont les plus touchés.
A tel point que la Commission européenne s’est emparée du sujet. Selon Les Echos le 24 septembre, Kadri Simson, commissaire en charge du secteur de l’énergie, rédige une communication qui sera publiée début octobre. Mais la commissaire a d’ores et déjà évoqué des réductions de TVA, des versements directs aux plus pauvres (comme en France avec le chèque énergie exceptionnel de 100 euros), ou encore des aides ciblées et temporaires pour les ménages et les petites entreprises.
A l’échelle de l’Union européenne, près de trois millions de travailleurs ne peuvent se permettre de chauffer leur maison en raison des prix de l’énergie, selon une analyse de la Confédération européenne des syndicats (CES) publiée le 20 septembre 2021. Une étude de l’Institut Jacques Delors, publiée en février 2021, évoque 30 millions d’Européens qui ne pourraient chauffer correctement leur logement (lire l’article). La situation est particulièrement critique à Chypre, en Bulgarie et en Lituanie. Les syndicats appellent dès lors le Parlement européen à prémunir les travailleurs de la précarité énergétique en introduisant dans le projet de directive européenne sur les salaires minimums un « seuil de décence » qui garantirait que les salaires minimums légaux permettent un niveau de vie décent et ne pourraient jamais être inférieurs à 60% du salaire médian et à 50% du salaire moyen dans aucun des États membres.
Côté français, le gouvernement a annoncé le versement d’un chèque énergie exceptionnel avant la fin de l’année 2021 (lire l’article). Cette aide sera versée en décembre à l’ensemble des 5,8 millions de ménages qui ont déjà bénéficié du chèque énergie au printemps 2021 et sera d’un montant de 100 euros. D’autres mesures pourraient voir le jour ces prochaines semaines pour éviter un acte II du mouvement des gilets jaunes : baisse des taxes (à l’instar de l’Espagne), gel des tarifs jusqu’à ce que le marché du gaz se stabilise (le « bouclier tarifaire » annoncé par le Premier ministre le 30 septembre), etc.
Dès juillet, le gouvernement espagnol a annoncé un allègement de la TVA sur les prix de l’énergie afin d’en diminuer la charge pour les consommateurs, et envisage de surtaxer les profits des groupes énergétiques espagnols. La mesure pourrait rapporter 2,6 milliards d’euros, selon les premières estimations.
Alors que l’économie italienne dépend à plus de 40 % du gaz, le président du Conseil italien, Mario Draghi, a lui aussi promis, le 23 septembre, un allègement de la fiscalité, évaluée à 3 milliards d’euros, sur les factures de gaz et d’électricité pour les ménages et les petites entreprises pour le dernier trimestre 2021. (Lire l’article sur le site de Médiapart)
Du côté du Royaume-Uni, certaines des plus grandes sociétés énergétiques, dont British Gas, E.ON UK, EDF Energy et Scottish Power, ont appelé le gouvernement à légiférer pour un tarif social de l’énergie. Ces sociétés alertent les ministres sur les millions de ménages qui auront besoin d’une aide supplémentaire cet hiver alors que le régulateur Ofgem s’apprête à révéler l’une des augmentations les plus importantes jamais enregistrées du plafond des prix de l’énergie : environ 150 £ par an pour 15 millions de foyers. Certaines de ces sociétés déclarent « qu’un tarif social devrait être « l’une des principales priorités » de la nouvelle législation sur l’énergie l’année prochaine« , et proposent que le tarif social s’appuie sur la remise existante du gouvernement pour les maisons chaudes, qui offre aux ménages éligibles une remise de 140 £ sur la facture d’énergie chaque hiver. L’idée est de financer le tarif social via l’industrie en obligeant chaque fournisseur à verser une somme dans une cagnotte centrale en fonction du nombre de clients qu’il dessert. Un escompte serait alors reversé aux fournisseurs en fonction du nombre de clients qu’ils ont en situation de précarité énergétique. Les débats sont vifs car pour les fournisseurs d’énergie ayant plus de clients en situation de précarité énergétique, le programme pourrait ajouter des coûts supplémentaires à leur activité. (Lire l’article sur le site FR24news)
En Belgique, 8,4% des travailleurs pauvres ne peuvent se chauffer convenablement en raison des prix de l’énergie, soit 21.680 personnes, un ménage sur cinq est situation de précarité énergétique. Alors qu’une augmentation des tarifs sociaux a été annoncée par la Commission de Régulation de l’Electricité et du Gaz (CREG), l’organisation de consommateurs Test Achats demande au gouvernement d’adopter rapidement des mesures pour endiguer la situation actuelle en réalisant un travail plus structurel concernant la lourdeur de la facture d’énergie sur le budget des ménages. L’association demande une baisse temporaire de la TVA sur l’énergie et sur une tranche incompressible (valable pour tous les profils) de 1 500kWh et un « nettoyage de la facture d’énergie de toute une série de taxes, cotisations et redevances qui doivent en fait être financées par l’impôt, plus transparent et plus équitable en fonction et pour différentes catégories de revenus ». (Lire l’article sur le site La Libre)
Personne n’avait vu venir cette crise de l’énergie, qui menace de s’étendre. Une conjonction d’événements et de facteurs non prévus s’est produite, provoquant une rupture qui gagne désormais tous les marchés de l’énergie – le prix du baril de pétrole est à plus de 80 dollars, au plus haut depuis trois ans. Cette crise « sans précédent » questionne sur la façon dont l’Europe a libéralisé le secteur de l’énergie depuis 20 ans. Cette question a toutes les composantes pour se transformer en une crise sociale économique, si rien n’est fait. Alors que la Commission européenne s’apprête à lancer son Green deal, elle pose aussi toute la question de l’acceptabilité sociale de la transition écologique. (Lire l’article sur le site de Médiapart)