Alors que le réchauffement climatique actuel fait vivre sous des températures étouffantes, autrefois exceptionnelles, la grande majorité des logements s’avèrent ne pas être adaptés à de telles chaleurs. Des milliers de personnes souffrent durement du chaud dans leur logement. Au travers de son étude « La précarité énergétique d’été : une nouvelle forme de mal-logement », la Fondation Abbé Pierre alerte sur le phénomène, appelle à renforcer le cadre législatif et réglementaire et propose des solutions pour lutter contre les « bouilloires énergétiques ».
« En été, les passoires énergétiques se transforment en véritables bouilloires. Or, la précarité énergétique est encore largement associée au ressenti du froid dans son logement, et trop peu à l’inhabitabilité liée aux pics de chaleur. En effet, la définition de la précarité énergétique inclut des indicateurs liés au taux d’effort énergétique et au ressenti du froid, mais ne tient pas compte pour le moment des difficultés à maintenir une température acceptable dans son logement pendant les périodes de chaleur. »
Si aucun chiffre ne permet d’estimer le nombre de personnes souffrant du chaud dans leur logement, l’étude « Précarité énergétique d’été : une nouvelle forme de mal-logement », publiée en juin dernier par la Fondation Abbé Pierre, compile plusieurs indicateurs liés au phénomène et notamment :
- En 2022, 59 % des Françaises et des Français déclaraient avoir souffert de la chaleur dans leur logement pendant au moins 24 heures. (+8 points par rapport à 2020). Si 9 personnes sur 10 l’expliquent par la canicule, 19 % d’entre elles mentionnent également une mauvaise isolation de leur logement et 9% une mauvaise ventilation ;
- Les locataires sont plus nombreux que la moyenne à souffrir d’un excès de chaleur (63 % contre 59 % au global) ;
- Parmi les plus concernés, les populations précaires urbaines, les jeunes, avec 54 % des 18-24 ans qui souffrent de la chaleur dans leur logement, mais aussi les personnes âgées, qui sont les plus vulnérables face aux canicules.
Un enjeu sanitaire, notamment pour les populations précaires urbaines
« Avec cette chaleur, c’est impossible de dormir, et très difficile de se concentrer, de travailler. »
Selon la réglementation environnementale (RE2020), on parle d’ « inconfort d’été » à partir du moment où la température du logement serait continûment à 30 °C le jour et 28 °C la nuit plus de 25 jours par an.
Exacerbé par la multiplication des vagues de chaleur (qui seront deux fois plus nombreuses d’ici 2050), l’inconfort d’été génère des conséquences sanitaires comme des troubles du sommeil, le développement ou aggravation de pathologies (cardiaques et rénales notamment), des problèmes de circulation sanguine, de perte d’autonomie chez les personnes âgées, de déshydratation, voire décès comme ce fut le cas lors de la récente canicule de 2022.
Mais les conséquences de cette situation sont également économiques (hausse des factures d’eau et d’énergie liée aux pratiques de refroidissement à l’aide de douches ou de climatiseurs mobiles), environnementales du fait du recours à la climatisation (en 2020, la climatisation a été responsable de près de 5 % des émissions de gaz à effet de serre produites par le secteur du bâtiment) qui s’avère par ailleurs contre-productive puisqu’elle rejette de l’air chaud et vient ainsi contribuer à la hausse de la température extérieure au logement, mais également en termes d’inégalités sociales puisque les ménages modestes sont condamnés à aggraver leur situation économique en acquérant des appareils moins performants mais moins coûteux à l’achat.
D’après l’étude, cet inconfort d’été est plus prégnant dans les grandes agglomérations avec l’apparition d’ilots de chaleur urbains (ICU), endroits où les températures sont particulièrement élevées de jour comme de nuit, du fait du béton qui stocke la chaleur pendant la journée et la rediffuse pendant la nuit, du manque de végétation et de sources d’eau et de l’excès de minéralisation qui limitent le refroidissement nocturne de l’air. L’intensité de l’activité urbaine et de la circulation automobile participent également à ces ilots.
Par définition, ces ilots apparaissant davantage dans les zones urbaines peu végétalisés et sont donc plus courants dans les quartiers populaires où résident des ménages modestes occupant le plus souvent des passoires thermiques. Si celles-ci sont impossibles (ou très coûteuse) à chauffer en hiver, elles se transforment en bouilloire énergétique impossibles à refroidir en été du fait de l’isolation peu performante mais aussi d’une mauvaise exposition, de l’absence de protections solaires ou encore de simples volets.
L’étude rappelle à ce titre que les vagues de chaleur tuent d’abord les populations précaires urbaines, du fait de leurs conditions de vie et de logement.
Un cadre légal et réglementaire insuffisant
L’étude relève plusieurs insuffisances qui freinent la prise en compte du confort d’été notamment dans la rénovation des logements existants :
- La non prise en compte du confort d’été dans la méthode de calcul du DPE (seules quelques données sont fournies à titre informatif : isolation de la toiture ou de la couverture, présence de protections solaires, etc.) ;
- L’absence de la notion de confort d’été dans la définition d’une rénovation énergétique performante et globale, introduite dans la loi Climat et Résilience ;
- Les aides à la rénovation continuent d’exclure certains équipements liés à l’atteinte du confort d’été (comme les protections solaires, brasseurs d’air ou revêtements réfléchissants par exemple), contrairement à d’autres pays européens ou en Outre-mer, ou favorise des matériaux à faible inertie contre-productifs en période estivale (comme les laines minérales et le polystyrène) ;
- Certains gestes améliorant le confort d’été se heurtent aux normes de préservation du patrimoine, la réglementation urbaine locale ou encore le règlement de certaines copropriétés qui peuvent freiner ou interdire l’installation de volets, l’application de certains revêtements réfléchissants, la plantation d’arbres etc…
Des solutions pour réguler la température intérieure et extérieure
Avec des retours d’expérience à l’appui, l’étude avance un certain nombre de solutions techniques, souvent low tech, visant à réguler la température intérieure des logements lors d’une rénovation :
- Protéger le logement contre les apports de chaleur excessifs :
- Augmenter l’inertie du bâtiment (sa capacité à conserver sa température de façon passive vis-à-vis d’une sollicitation thermique) en isolant le toit, la couverture et les murs grâce à des matériaux à fort déphasage thermique (limitant les déperditions en hiver et atténuant les apports de chaleur en été), par l’extérieur idéalement ;
- Installer des protections solaires pour protéger les fenêtres des rayonnements trop directs qui pourraient réchauffer le logement de façon excessive : pare-soleils horizontaux ou verticaux intégrés à l’architecture du bâtiment, brise-soleils orientables et réfléchissants, auvents, occultants extérieurs (volets et stores), balcons suffisamment profonds, etc. qui permetteraient de réduire la température intérieure de 2 à 5 °C ;
- Isoler les toitures afin de limiter leur échauffement, voire faire obstacle aux rayonnements solaires en installant des panneaux solaires ;
- Privilégier les couleurs claires pour les revêtements extérieur : les bâtiments blancs permettent une meilleure réflexion à la lumière et donc de limiter la surchauffe estivale à l’intérieur du bâtiment (jusqu’à 6-7 °C pendant les canicules) tout en réduisant la consommation électrique liée à la climatisation de 20 à 50 % ;
- Rafraîchir le logement :
- Favoriser la ventilation naturelle (ouverture des fenêtres pendant la nuit notamment), et assurer la ventilation des combles et de la couverture ;
- Installer des ventilateurs / brasseurs d’airs fixes à utiliser ponctuellement, moins chers à l’achat et moins énergivores que la climatisation, tout en permettant dans certains cas d’abaisser la température ressentie de 4 degrés ;
- Revoir l’agencement du bâti lorsque c’est possible, afin de favoriser les logements traversants.
Des remèdes existent également en matière d’aménagement des espaces extérieurs afin de limiter la hausse de la température hors des logements :
- Végétaliser les bâtiments, les cours intérieures et leurs abords afin de favoriser le refroidissement de l’air ;
- Planter des arbres de hautes tiges aux abords des bâtiments permettant la projection de zones ombragées sur les façades et la maitrise des apports solaires dans les logements des étages bas ;
- Renforcer la présence d’eau en ville et à l’échelle de l’ilot, par l’installation de fontaines, de noues, de bassins ou de brumisateurs mettant à profit les eaux fluviales ;
- Débitumer au profit de matériaux moins chauds, réfléchissants et perméables (pour permettre à l’eau de s’évaporer progressivement en créant de la fraicheur) ;
- Diminuer le trafic routier.
Les recommandations de la Fondation Abbé Pierre
En écho aux insuffisances et solutions techniques proposées précédemment, la Fondation Abbé Pierre émet dans une dernière partie 19 préconisations regroupées en 5 thématiques :
- Systématiser la prise en compte de l’habitabilité thermique en été dans les projets de rénovation énergétique, et faire évoluer le système d’aides à la rénovation pour inclure les équipements et aménagements nécessaires pour y parvenir : subventionner l’installation de protections solaires fixes, d’occultants ou de brasseurs d’air par Ma Prime Rénov’ ou Ma Prime Rénov’ Sérénité, financer davantage l’isolation thermique utilisant des matériaux présentant un bon déphasage thermique ou encore inclure le confort d’été à la formation initiale des conseillers France Rénov, etc.
- Faciliter la réalisation des travaux : faire évoluer les règles d’urbanisme et des copropriétés pour faciliter les modifications du bâti ayant pour but d’améliorer le confort d’été, faire évoluer le DPE pour que le confort d’été soit une évaluation obligatoire qui influe sur l’étiquette du logement, etc.
- Repenser les villes pour lutter contre les îlots de chaleur : intégrer des critères d’adaptation dans les programmes urbains (NPNRU, Action coeur de ville…), soutenir le financement de programmes de végétalisation et de désimperméabilisation, introduire des normes pour lutter contre la massification de la climatisation, etc.
- Protéger les locataires victimes de surchauffe dans leur logement : obliger les bailleurs à installer des protections solaires, où des volets a minima, inclure la notion du confort d’été dans les caractéristiques de la décence, en introduisant un seuil maximal de température ;
- Aider les ménages à faire face aux surcoûts liés au refroidissement, par le biais d’aides au paiement des factures : tripler le chèque énergie pour atteindre 450 € en moyenne (contre 150€ aujourd’hui) et doubler le forfait des APL dédié au paiement des charges du foyer.