Historique du cadre règlementaire et législatif
En France, jusqu’en 2010, la précarité énergétique n’était pas généralement reconnue comme un problème social distinct de la pauvreté monétaire. Les manifestations les plus mesurables sont les difficultés des ménages à payer leurs factures d’énergie, symptôme général de la pauvreté. Par conséquent, le développement d’un cadre légal pour aider les familles à maintenir une température adéquate dans leur logement s’est fait dans le contexte de politiques larges pour combattre la pauvreté et l’exclusion sociale. Cet objectif de lutte contre la pauvreté a été initialement supporté par la loi du 1er décembre 1988 sur la garantie d’un revenu minimum, depuis formalisé dans le code de l’action sociale et de la famille.
En juillet 2010, la loi portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle 2 », a donné une définition officielle à la précarité énergétique en venant modifier la loi Besson de 1990 sur le droit au logement (article 1-1) : « Est en situation de précarité énergétique au titre de la présente loi une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ». La lutte contre précarité énergétique est devenue à partir de cette date un objet de politique publique à part entière. À la suite de la promulgation de cette loi, l’Observatoire national de la précarité énergétique est créé en 2011 pour suivre l’évolution du phénomène dans le temps. En parallèle, un Fonds d’Aide à la Rénovation Thermique (FART) voit le jour, financé par le programme d’investissements d’avenir et les fournisseurs d’énergie (EDF, ENGIE et Total, en échange de certificats d’économies d’énergie). Ce FART, dont la gestion a été confiée à l’Anah, est aujourd’hui plus connu sous le nom de « Programme Habiter Mieux« .
En avril 2013, la loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre, dite «loi Brottes », a apporté un certain nombre d’avancées dans le champ de la lutte contre la précarité énergétique, avec notamment l’extension du tarif de première nécessité (article 7) à tous les fournisseurs d’électricité (jusqu’alors, seul EDF proposait à ses clients le bénéfice du TPN et ENGIE pour le TSS-Tarif spécial de solidarité) et à un plus grand nombre d’ayant-droits, ainsi que l’instauration d’une trêve hivernale pour les coupures d’énergie et d’eau en cas d’impayés des factures d’électricité, de gaz, de chaleur et d’eau.
En 2015, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) instaure dans son article 1 un droit à l’énergie : « La politique énergétique garantit la cohésion sociale et territoriale en assurant un droit d’accès de tous les ménages à l’énergie sans coût excessif au regard de leurs ressources ». La France se fixe comme objectif de rénover énergétiquement 500 000 logements par an à compter de 2017, dont au moins la moitié de ces logements est occupée par des ménages aux revenus modestes, visant ainsi une baisse de 15 % de la précarité énergétique d’ici 2020. Un nouveau type de certificats d’économies d’énergie (CEE) est créé, spécifiquement dédié à des actions d’économies d’énergie réalisées au bénéfice de ménages en situation de précarité énergétique. Un chèque énergie est créé, qui remplace à compter de janvier 2018 les tarifs sociaux de l’énergie (qui ne concernaient que les ménages alimentés en électricité ou gaz de réseau), et qui doit permettre « aux ménages dont les revenus sont, compte tenu de leur composition, inférieurs à un plafond, d’acquitter tout ou partie du montant des factures d’énergie relatives à leur logement ou des dépenses qu’ils ont assumées pour l’amélioration de la qualité environnementale de ce logement ».
Pour autant, malgré ces avancées incontestables et une reconnaissance de la précarité énergétique dans les politiques publiques, la spécificité de ce phénomène, qui résulte de la « rencontre » entre un ménage avec ses caractéristiques socio-économiques et d’un logement avec ses caractéristiques techniques, n’est encore que partiellement prise en compte dans les dispositifs nationaux : les aides au paiement des factures d’énergie ou à la réalisation de travaux de rénovation énergétique des logements se basent principalement sur le niveau de revenu du ménage pour définir le montant ou le taux de l’aide, et quasiment jamais sur le niveau de performance énergétique du logement occupé. Ainsi, pour les ménages qui vivent dans un logement dont la performance énergétique est médiocre, mais dont les ressources dépassent, même de quelques euros, le plafond de revenu défini, les effets de seuil sont très forts.
Par ailleurs, compte-tenu de la complexité du montage d’un projet de travaux, l’accompagnement des ménages tant sur le plan technique que de l’ingénierie financière est indispensable ; Et à ce jour, insuffisamment financé pour déboucher chaque fois que possible sur les travaux performants qui mettront durablement les ménages à l’abri de la précarité énergétique.
Enfin, les locataires souffrent d’un déficit criant d’attention de la part des politiques publiques et des dispositifs déployés depuis 2010, alors même qu’ils constituent la majeure partie des ménages exposés à la précarité énergétique, et notamment de ceux qui ont froid chez eux.
Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, modifiée par la loi TECV de 2015, établit pourtant un cadre prometteur pour avancer sur ce terrain, puisqu’elle stipule dans son article 6 que « le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent […] répondant à un critère de performance énergétique minimale. », établissant ainsi un lien clair entre la performance énergétique d’un logement et un niveau de confort minimal acceptable pour le qualifier de décent. Hélas, le décret d’application de cette loi, qui devait définir le critère de performance énergétique minimale à respecter et un calendrier de mise en œuvre échelonnée, ne permet ni d’envoyer les signaux contraignants indispensables vers les bailleurs, ni de fournir des outils efficaces aux locataires pour espérer améliorer rapidement et durablement leur situation.
Rénovation énergétique performante et globale des logements ; Accompagnement humain et financier renforcé des ménages ; Interdiction de mise en location des « passoires énergétiques » : voici les trois principales mesures sur lesquelles il convient d’avancer rapidement pour endiguer puis réduire le nombre de ménages confrontés à la précarité énergétique. Un phénomène appelé à croître de manière aussi constante et soutenue que le prix des énergies, s’il n’est pas traité globalement, dans ses multiples dimensions.