L’Assemblée nationale a adopté en première lecture, vendredi 28 juin 2019, le projet de loi relatif à l’énergie et au climat après avoir acté l’urgence climatique et écologique. Étaient en particulier examinés les objectifs en matière de climat et de nucléaire, la fermeture des centrales à charbon et la rénovation des passoires énergétiques dont la nécessité urgente a été mise en avant par la canicule.
Cette loi énergie-climat a vocation à remplacer la loi sur la transition énergétique de 2015, en intégrant les nouveaux objectifs prévus dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) — globalement revus à la baisse par rapport à la loi de 2015.
À la suite du dépôt du projet de loi à l’Assemblée Nationale le 30 avril 2019, celui-ci a été discuté et amendé par les commissions concernées (commission développement durable puis commission des affaires économiques). Le texte est ainsi passé de douze à quarante-six articles en commission, intégrant de nombreux autres thèmes, comme la rénovation énergétique des logements passoires. Quelques mesures ambitieuses, portées par des députés de tous bords (dont beaucoup issus de la majorité !), ont ainsi été adoptées, et notamment :
- L’intégration d’un critère de performance énergétique en kilowattheure d’énergie primaire par an dans les critères de définition d’un logement décent, afin de fixer de manière précise le niveau de performance à atteindre pour louer un logement [identiques CE 615 de Nathalie Sarles, rapporteure pour avis, CE 266 de François-Michel Lambert (LT) et CE 533 de Mathieu Orphelin (NI), sous-amendés par le CE 719 du Gouvernement]
- Le conditionnement de la révision du loyer, en cas de travaux, à l’atteinte d’un certain niveau de performance énergétique [CE 582 du Gouvernement]
- L’expérimentation, à partir du 1er janvier 2021, de la mise sous séquestre, en cas de vente d’un bien à faible performance énergétique, d’une partie du produit de la vente ne pouvant excéder 5 % du produit de cette vente, déblocable au profit de l’acquéreur pour effectuer des travaux de rénovation énergétique [identiques CE 655 du rapporteur, CE 576 d’Huguette Tiegna (LaREM) et CE 614 de la rapporteure pour avis, sous-amendés par les CE 725 et 726 de Guillaume Kasbarian (LaREM)]
- L’autorisation donnée à l’ANAH d’avoir accès aux diagnostics de performance énergétique et aux informations dont dispose la Caf [CE 616 de la rapporteure pour avis]
- L’information de l’acquéreur ou du locataire sur ses futures dépenses de chauffage, refroidissement et eau chaude sanitaire dans les annonces relative à la vente ou la location [CE 523 du Gouvernement]
- L’obligation de joindre au diagnostic de performance énergétique des logements très énergivores un audit énergétique [CE 599 du Gouvernement]
Une première victoire, car dans sa version initiale, le projet de loi sur l’énergie et le climat ne prévoyait rien pour lutter contre les passoires énergétiques — ces 7 millions de logements de classe F et G.
Pourtant, l’interdiction de location des passoires d’ici 2025 était une promesse de campagne du candidat Macron (2017), comme le rappelait une tribune publiée le 25 juin 2019 sur le site lemonde.fr, à l’initiative du CLER – Réseau pour la transition énergétique, et soutenue par 17 organisations de la société civile et 35 parlementaires de différentes sensibilités politiques.
Du 25 au 26 juin, après ses passages en commission, le projet de loi était discuté en 1ère lecture à l’Assemblée Nationale, en séance plénière.
À l’issue du processus, nombre des amendements prévoyant l’interdiction de la location des passoires ont été rejetés ou modifiés, laissant la place à un dispositif incitatif/informatif (et donc non contraignant), en trois temps :
- Pendant la première phase, de 2021 à 2023 :
- Interdiction, à partir de 2021, pour le propriétaire d’une passoire énergétique, d’augmenter librement le loyer entre deux locataires sans avoir réalisé des travaux de rénovation.
- Obligation, à partir de 2022, de réalisation d’un audit énergétique en cas de mise en vente ou en location d’une passoire énergétique, qui contiendra des propositions de travaux adaptés au logement, ainsi que leur coût estimé
- Les propriétaires de passoires énergétiques devront en outre informer un acquéreur ou un locataire sur ses futures dépenses en énergie (chauffage, eau chaude), à partir de 2022.
- Par ailleurs, la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs est modifiée : pour qu’un logement soit décent, il ne devra pas dépasser un seuil maximal de consommation d’énergie finale par mètre carré et par an. Un décret viendra définir ce seuil au plus tard le 1er janvier 2023.
- À compter du 1er janvier 2028, la consommation énergétique, déterminée selon la méthode du diagnostic de performance énergétique, des bâtiments à usage d’habitation ne doit pas excéder le seuil de 330 kilowattheures par mètre carré et par an d’énergie primaire (étiquettes F et G du diagnostic de performance énergétique). Cette obligation ne s’applique pas en cas de contraintes techniques, architecturales, ou coût disproportionné par rapport à la valeur du bien.
- À partir de 2028, en cas de vente ou de location d’un bien immobilier à usage d’habitation, dont la consommation énergétique excède ce seuil, les propriétaires seront obligés de « mentionner le non-respect de cette obligation dans les publicités relatives à la vente ou à la location » (dans l’annonce immobilière, et l’acte de vente ou le bail locatif par exemple = certificat de non-conformité du bien). Les autres conséquences du non-respect de l’obligation de travaux seront définies par le Parlement en 2023, dans le cadre de la programmation quinquennale de l’énergie créée par la loi énergie-climat.
Voir la version provisoire du texte de loi adopté sur le site du Sénat |
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De fait, il faut saluer l’inscription (enfin !) d’un seuil de consommation d’énergie chiffré dans les textes encadrant la décence des logements. On peut regretter toutefois :
concernant le décret encadrant la décence :
- Que le seuil qui doit être défini soit exprimé en énergie finale (les étiquettes énergie des logements indiquent des consommations en énergie primaire), ce qui va favoriser le chauffage électrique dans l’information délivrée aux ménages (en vertu de ce que l’on appelle le « facteur d’énergie primaire« , alors que l’électricité est une énergie chère). Un amendement avait été déposé pour prendre en compte l’énergie primaire dans ce texte ; il a été rejeté.
- Que « les contrats de location en cours à la date d’entrée en vigueur du présent article demeurent soumis aux dispositions qui leur étaient applicables » (amendement du gouvernement n°898), ce qui limite l’efficacité et la portée de la disposition adoptée en commission.
- Il conviendra également d’être vigilant sur le seuil de consommation retenu et surtout sur le calendrier de mise en œuvre échelonnée, car dans l’exposé des motifs du sous-amendement du gouvernement voté en commission, il est évoqué celui de 600 ou 700kWh en énergie finale par mètre carré et par an (ce qui est énorme !)
concernant l’ »obligation de travaux », à partir de 2028, pour les logements dont la consommation d’énergie finale est supérieure à 330 kilowattheures par mètre carré et par an :
- 2028, c’est loin ! Pendant 10 ans encore, des centaines de milliers de ménages aux ressources très modestes vont être contraints de louer ou d’acheter des passoires énergétiques pour se loger, et faire l’expérience de la précarité énergétique.
- L’obligation de travaux en tant que telle n’est par explicitement inscrite dans le texte de loi, mais figure dans l’exposé des motifs de l’amendement adopté. L’interprétation de loi dans la pratique devra être suivie avec attention.
- De même, il conviendra d’être très vigilant sur les critères d’exonération à cette obligation, qui seront fixés par décret.
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L’amendement prévoyant d’expérimenter la mise sous séquestre d’une part du produit de vente d’un bien immobilier dont la consommation est supérieure à 330 kWh/m2.an est tombé, du fait de l’adoption des mesures décrites ci-dessus (l’adoption d’un amendement en séance a pour conséquence de faire « tomber », c’est-à-dire de rendre sans objet) tous les amendements proposant des solutions concurrentes.
Pour Anne Bringault, du Réseau Action Climat – France, ce dispositif n’est pas satisfaisant. « Il s’agit d’une obligation d’affichage plutôt qu’une obligation de travaux. En plus, fixer des dates butoirs n’est pas la bonne manière de faire. Il faut imposer les travaux dans le logement quand il est vide, lors du changement de propriétaire ou de locataire, parce que les chantiers peuvent être assez lourds. Sinon, on va se retrouver avec un goulot d’étranglement en 2028, comme au moment de la loi sur l’accessibilité*. Il est impossible de rénover 7 millions de passoires en une année ; il faut étaler. » (source : reporterre.net)
* La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées avait initialement fixé au 1er janvier 2015 l’obligation d’accessibilité des établissements recevant du public et des transports publics. En 2015, l’échéance n’a pas été respectée : personne n’était prêt. L’ordonnance du 26 septembre 2014, définitivement ratifiée par le Parlement le 21 juillet 2015, a donc instauré de nouveaux délais.